Journées de la Topographie
du 2 au 4 octobre 2006

   

DANS QUELLE MESURE LES SYSTEMES DE POSITIONNEMENT UTILISES PAR LE CERN SONT- ILS SENSIBLES AUX SEISMES ?

 

Sociétéd’accueil : CERN
PFE présentépar : Florent GABRIELS
Directeur (directrice) du PFE : Mme Mainaud Durand
Correcteurs : M. Ferhat et M. Smigiel

1. Présentation

Le  CERN,  l’Organisation  européenne  pour  la  recherche  nucléaire,  est  le  plus  grand  laboratoire de recherche  du  monde.  Depuis  plusieurs  années,  le  grand  collisionneur  de  hadrons  (LHC),  qui constituera le plus grand et le plus puissant des accélérateurs de particules, est en cours d’installation dans  l’anneau  souterrain de 27  km  construit  pour  son prédécesseur,  le LEP.  Les vastes chantiers d’installation seront achevés dans le courant de l’année 2007 et le premier lancement de faisceau de particules  à 99,9%  de  la  vitesse  de  la  lumière  est  prévu  pour  le  milieu  de  la  même  année.  La technologie mise  en  place  pour  le  LHC  est  exceptionnellement  novatrice  car  il  fonctionnera  à une température de seulement 1,9 kelvins avec des champs magnétiques avoisinant les 8 teslas. Le LHC produira des collisions frontales entre deux  faisceaux  de particules identiques au niveau de quatre immenses expériences appelées ALICE, ATLAS, CMS et LHCb.
L’alignement  des  aimants  supraconducteurs  formant  l’accélérateur  est  la  spécialité  du  groupe topographique du CERN. Les tolérances concernant les trois aimants les plus proches de chaque côté des  expériences,  appelés  aimants  low  â,  sont  de  quelques  microns.  Afin  de  pouvoir  mesurer continuellement les déplacements de ces  aimants et  procéder  à leur  réajustement,  dans un  milieu hostile   aux    interventions   directes   du   personnel    (forte   radioactivité   et   puissants   champs électromagnétiques),  la  solution  consiste  à utiliser  les  systèmes  de  positionnement  que  sont  les niveaux  hydrostatiques  et  les  écartomètres  à fil.  Ils  ont  la  particularité d’offrir  une  résolution  sub- micrométrique, de nécessiter très peu d’intervention humaine et de permettre un suivi à distance en temps réel.
Il a déjàétéconstatéque ces capteurs sont susceptibles d’être influencés par certains phénomènes, externes àl’environnement direct de l’accélérateur, comme les marées par exemple dans le cas des niveaux hydrostatiques. L’observation de perturbations sur les enregistrements de ces derniers, suite au séisme du 26 décembre 2004 responsable du terrible raz de marée en Asie, a poséla question du degréde sensibilitéde ces systèmes de positionnement aux tremblements de terre. A partir de cette première constatation, de nombreuses hypothèses ont étééchafaudées sur leur comportement exact.
Les objectifs visés par cette étude sont de :
-  établir  le  fait  que  les  perturbations  engendrées  par  des  séismes  sont  des  événements exceptionnels ou àl’inverse systématiques.
-  répondre  aux  principales  interrogations  concernant  le  type  de  séisme  enregistré (puissant, lointain… ), les influences des différentes ondes sismiques…
-  mettre  en  évidence  les  conséquences  à prendre  en  compte  dans  l’utilisation  future  des capteurs.
-  identifier  les  limites  de  sensibilité  de  ces  appareils  métrologiques  par   rapport  à  ces phénomènes pour lesquels ils n’ont jamais ététestés.
-  faire  la  part  entre  les  déplacements  réels  et  l’amplification  engendrée  par  la  onfiguration même des systèmes de positionnement

2. Les systèmes de positionnement

  • Les niveaux hydrostatiques (HLS : Hydrostatic Levelling System)
    La base de leur fonctionnement repose sur le principe ancestral des vases communicants. Il s’agit   de   réseaux   composés   de   plusieurs capteurs   capacitifs     et     utilisant comme référence  métrologique  la  surface  libre  d’un liquide. Les mesures capacitives des capteurs du    réseau    permettent    d’en  déduire les distances   les   électrodes séparantde référence  du  liquide  et  de  réaliser  ainsi  un nivellement relatif.
    Trois réseaux  distincts sont d’ores et déjà en fonction dans le LHC et ont fourni les données utilisées  dans  la  présente  étude.  Le  premier de  ces  réseaux  est  installé  aux  ‘pieds’  ou ATLAS (photographie ci-contre), le second a été mis en place à l’emplacement  des aimants low â‘bedplates’ de  l’expérience d’Atlas et le dernier demeure à proximité des low âd’Alice.
  •   Les écartomètres àfil (WPS : Wire Positioning System)
    Ce sont aussi des capteurs capacitifs de haute précision mais qui se différencient par l’utilisation d’un fil tendu comme référentiel métrologique. Plusieurs électrodes sont ainsi placées en différents endroits du fil et permettent de mesurer selon l’axe vertical et l’axe radial. Un seul  de ces  systèmes a été temporairement  installé sur  un aimant  low â de l’expérience Atlas avant d’être démonté.

3. Les données

Pour  mener  à bien  cette  étude,  deux  ans  de  données  sont  disponibles.  Il  s’agit  des  fichiers  de mesures des quatre systèmes de positionnement installés depuis le mois de juin 2004. A chaque jour postérieur à cette période correspondent un ou plusieurs fichiers susceptibles de comporter la trace de  perturbations  d’origine  sismique.  Cette  masse  considérable  d’informations  à traiter  représente environ 850 fichiers distincts.
De plus, ces données informatiques ont des formats texte bien différents selon le logiciel de traitement utilisé parmi les deux  disponibles.  La syntaxe, la taille ainsi  que les informations qu’ils contiennent varient énormément.

  • Logiciel MSM de Fogale nanotech
    Ce logiciel développépar le constructeur des capteurs capacitifs est une interface offrant de multiples usages.  Il  permet  notamment  une  visualisation  en  temps  réel  des  mesures.  Il  acquiert  aussi  les mesures  et  les  enregistre  sous  un  format  qui  lui  est  propre.  Pour  chaque  mesure  de  distance, correspondant en réalitéà une moyenne arithmétique d’une multitude de mesures, le logiciel calcule et renvoit automatiquement l’écart type sur cette moyenne.
  • Logiciel développépar le CERN
    Le logiciel crééen interne pour pallier un éventuel dysfonctionnement de MSM constitue uniquement un programme d’acquisition des mesures brutes. Les fichiers ainsi enregistrés le sont sous un format moins  riche  en  informations  mais  beaucoup  plus  simple  à traiter.  Ce  logiciel  a  principalement  été utilisélors des premiers mois de mise en service des capteurs.

4. Le traitement

Traiter  une  si  grande  quantité  d’informations  en  respectant  des  délais  raisonnables  nécessite l’élaboration  d’une  stratégie  de  traitement.  Au  défi  posé par  la  quantité des  données  s’ajoute  des circonstances défavorables au bon déroulement de ce type de recherches. En effet, la poursuite des travaux d’installation de cet accélérateur hors norme, à proximité des systèmes de  positionnement, n’est  pas  sans  conséquences  sur  leurs  comportements.  Pour  faire   la   part   entre  perturbations causées  par  les   séismes  et  perturbations   liées  aux  travaux,  il   est   nécessaire  de  procéder méthodiquement en apportant des arguments probants et incontestables.
La démarche suivie lors de cette étude peut être rapidement explicité par les étapes suivantes :

  1. Répertorier les tremblements de terre susceptibles d’avoir été détectés par les systèmes de positionnement. Pour cela, on liste d’abord les séismes les plus puissants pour l’ensemble du globe puis on poursuit progressivement avec des séismes plus modérés dans une zone géographique plus restreinte autour du CERN. L’ensemble des informations concernant ces événements est soigneusement répertorié.
  2. Visualiser   les   enregistrements   des   mesures   des   capteurs   aux   dates   et   heures correspondant à un séisme de la liste. Les courbes  nécessaires à ce travail ne sont  pas celles  des  lectures  brutes,  mais  celles  de  valeurs  obtenues  suite  à  l’application  de traitements spécifiques.
  3. Récupérer  les  informations  caractéristiques  de  la  perturbation  dans  le  cas  où  celle-ci semble correspondre temporellement à un séisme.
  4. Appliquer le mode opératoire de contrôle des origines de la perturbation en question. Celui- ci repose sur trois méthodes :

1)   la comparaison du graphique des écarts type de la perturbation avec ce qui constitue la signature propre des séismes sur ce type d’enregistrement.
2)   La comparaison de l’heure du début  des troubles par  rapport  à l’heure de l’arrivée théorique des premières ondes sismiques.
3)   La recherche de similarités sur les enregistrements provenant de réseaux différents, lorsque cela est possible.
Ainsi, lorsqu’il n’y a pas d’incohérence concernant la perturbation, elle peut être considérée comme résultant d’un tremblement de terre. Ce processus est soigneusement appliqué pour chaque séisme présent  sur  la  liste  de  départ.  Cela  n’est  rendu  possible  que  par  la  réalisation  d’un  programme informatique  automatisant  les  étapes  les  plus  fastidieuses  à  exécuter  et  accélérant  de  ce  fait  le déroulement des recherches.

5. Quelques résultats à retenir

Le premier résultat concret de l’étude est d’établir que les systèmes de positionnement utilisés par le CERN  détectent  systématiquement  bon  nombre  d’événements  sismiques.  Un  recensement  devant faire l’objet de mise à jour régulière fait à ce jour état de plus de 75 perturbations, enregistrées par les capteurs du CERN, formellement identifiées comme résultantes de ces phénomènes.
Outre  la  quantité,  c’est  le  type  de  séismes  qui  semble  surprenant.  En  effet,  parmi  toutes  ces perturbations, on compte évidemment de nombreux tremblements de terre lointains et puissants mais également  des  phénomènes  bien  plus  modérés  et  proches.  Il  apparaît  donc  que  les  systèmes métrologiques  sont    sensibles  à  l’ensemble  des  séismes  à  l’exception  évidente  des  plus  faibles quelque soit la localisation géographique de l’épicentre. Leurs capacités de perception vont bien au- delà de ce que l’on pouvait penser au départ.
Néanmoins, il est important de bien dissocier le comportement des niveaux  hydrostatiques de celui
des  écartomètres  à  fil.  On  constate  que  ces  derniers  ont  une  sensibilité  bien  moindre  aux  ondes sismiques. Ils ne sont troublés que par des phénomènes exceptionnellement puissants à l’échelle du globe ou de la région alpine. Cette différence s’explique par la différence de nature des surfaces de référence  qui  fait  que  les  capteurs  HLS  sont  plus  sensibles  aux  basses  fréquences  des  ondes sismiques que les WPS.
Par ailleurs, l’analyse approfondie des perturbations recensées, associée aux calculs des temps de propagation  des  ondes,  permet  de  montrer  la  sensibilité des  systèmes  de  positionnement  aux différents trains d’ondes sismiques. La figure ci-dessous en est l’illustration pour les HLS.

6. Conclusion
Cette étude a permis de répondre à un véritable besoin d’informations pour les responsables de ces systèmes  métrologiques  au  sein  du  CERN.  Le  sujet  demeurant  au  départ  plutôt  méconnu,  les résultats obtenus lors de ces recherches apportent un éclairage nouveau sur la véritable sensibilité des  systèmes  de  positionnement  par  rapport  aux  tremblements  de  terre. Dans  le cas  des  niveaux hydrostatiques, ce facteur devra être pris en compte dans l’avenir afin de bien identifier la nature des perturbations et ainsi de prendre en compte la durée nécessaire àun retour àla normale des mesures par les capteurs. Un système d’alerte en liaison directe et permanente avec les logiciels d’acquisition des  mesures  pourrait  être  la  bonne  solution  pour  automatiser  la  création  d’un  catalogue  des perturbations. Cela aurait l’avantage d’être relativement facile et rapide àmettre en place.

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