DANS QUELLE MESURE LES SYSTEMES DE POSITIONNEMENT UTILISES PAR LE CERN SONT- ILS SENSIBLES AUX SEISMES ?
Sociétéd’accueil : CERN
PFE présentépar : Florent GABRIELS
Directeur (directrice) du PFE : Mme Mainaud Durand
Correcteurs : M. Ferhat et M. Smigiel
1. Présentation
Le CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, est le plus grand laboratoire de recherche du monde. Depuis plusieurs années, le grand collisionneur de hadrons (LHC), qui constituera le plus grand et le plus puissant des accélérateurs de particules, est en cours d’installation dans l’anneau souterrain de 27 km construit pour son prédécesseur, le LEP. Les vastes chantiers d’installation seront achevés dans le courant de l’année 2007 et le premier lancement de faisceau de particules à 99,9% de la vitesse de la lumière est prévu pour le milieu de la même année. La technologie mise en place pour le LHC est exceptionnellement novatrice car il fonctionnera à une température de seulement 1,9 kelvins avec des champs magnétiques avoisinant les 8 teslas. Le LHC produira des collisions frontales entre deux faisceaux de particules identiques au niveau de quatre immenses expériences appelées ALICE, ATLAS, CMS et LHCb.
L’alignement des aimants supraconducteurs formant l’accélérateur est la spécialité du groupe topographique du CERN. Les tolérances concernant les trois aimants les plus proches de chaque côté des expériences, appelés aimants low â, sont de quelques microns. Afin de pouvoir mesurer continuellement les déplacements de ces aimants et procéder à leur réajustement, dans un milieu hostile aux interventions directes du personnel (forte radioactivité et puissants champs électromagnétiques), la solution consiste à utiliser les systèmes de positionnement que sont les niveaux hydrostatiques et les écartomètres à fil. Ils ont la particularité d’offrir une résolution sub- micrométrique, de nécessiter très peu d’intervention humaine et de permettre un suivi à distance en temps réel.
Il a déjàétéconstatéque ces capteurs sont susceptibles d’être influencés par certains phénomènes, externes àl’environnement direct de l’accélérateur, comme les marées par exemple dans le cas des niveaux hydrostatiques. L’observation de perturbations sur les enregistrements de ces derniers, suite au séisme du 26 décembre 2004 responsable du terrible raz de marée en Asie, a poséla question du degréde sensibilitéde ces systèmes de positionnement aux tremblements de terre. A partir de cette première constatation, de nombreuses hypothèses ont étééchafaudées sur leur comportement exact.
Les objectifs visés par cette étude sont de :
- établir le fait que les perturbations engendrées par des séismes sont des événements exceptionnels ou àl’inverse systématiques.
- répondre aux principales interrogations concernant le type de séisme enregistré (puissant, lointain… ), les influences des différentes ondes sismiques…
- mettre en évidence les conséquences à prendre en compte dans l’utilisation future des capteurs.
- identifier les limites de sensibilité de ces appareils métrologiques par rapport à ces phénomènes pour lesquels ils n’ont jamais ététestés.
- faire la part entre les déplacements réels et l’amplification engendrée par la onfiguration même des systèmes de positionnement
2. Les systèmes de positionnement
- Les niveaux hydrostatiques (HLS : Hydrostatic Levelling System)
La base de leur fonctionnement repose sur le principe ancestral des vases communicants. Il s’agit de réseaux composés de plusieurs capteurs capacitifs et utilisant comme référence métrologique la surface libre d’un liquide. Les mesures capacitives des capteurs du réseau permettent d’en déduire les distances les électrodes séparantde référence du liquide et de réaliser ainsi un nivellement relatif.
Trois réseaux distincts sont d’ores et déjà en fonction dans le LHC et ont fourni les données utilisées dans la présente étude. Le premier de ces réseaux est installé aux ‘pieds’ ou ATLAS (photographie ci-contre), le second a été mis en place à l’emplacement des aimants low â‘bedplates’ de l’expérience d’Atlas et le dernier demeure à proximité des low âd’Alice. - Les écartomètres àfil (WPS : Wire Positioning System)
Ce sont aussi des capteurs capacitifs de haute précision mais qui se différencient par l’utilisation d’un fil tendu comme référentiel métrologique. Plusieurs électrodes sont ainsi placées en différents endroits du fil et permettent de mesurer selon l’axe vertical et l’axe radial. Un seul de ces systèmes a été temporairement installé sur un aimant low â de l’expérience Atlas avant d’être démonté.
3. Les données
Pour mener à bien cette étude, deux ans de données sont disponibles. Il s’agit des fichiers de mesures des quatre systèmes de positionnement installés depuis le mois de juin 2004. A chaque jour postérieur à cette période correspondent un ou plusieurs fichiers susceptibles de comporter la trace de perturbations d’origine sismique. Cette masse considérable d’informations à traiter représente environ 850 fichiers distincts.
De plus, ces données informatiques ont des formats texte bien différents selon le logiciel de traitement utilisé parmi les deux disponibles. La syntaxe, la taille ainsi que les informations qu’ils contiennent varient énormément.
- Logiciel MSM de Fogale nanotech
Ce logiciel développépar le constructeur des capteurs capacitifs est une interface offrant de multiples usages. Il permet notamment une visualisation en temps réel des mesures. Il acquiert aussi les mesures et les enregistre sous un format qui lui est propre. Pour chaque mesure de distance, correspondant en réalitéà une moyenne arithmétique d’une multitude de mesures, le logiciel calcule et renvoit automatiquement l’écart type sur cette moyenne. - Logiciel développépar le CERN
Le logiciel crééen interne pour pallier un éventuel dysfonctionnement de MSM constitue uniquement un programme d’acquisition des mesures brutes. Les fichiers ainsi enregistrés le sont sous un format moins riche en informations mais beaucoup plus simple à traiter. Ce logiciel a principalement été utilisélors des premiers mois de mise en service des capteurs.
4. Le traitement
Traiter une si grande quantité d’informations en respectant des délais raisonnables nécessite l’élaboration d’une stratégie de traitement. Au défi posé par la quantité des données s’ajoute des circonstances défavorables au bon déroulement de ce type de recherches. En effet, la poursuite des travaux d’installation de cet accélérateur hors norme, à proximité des systèmes de positionnement, n’est pas sans conséquences sur leurs comportements. Pour faire la part entre perturbations causées par les séismes et perturbations liées aux travaux, il est nécessaire de procéder méthodiquement en apportant des arguments probants et incontestables.
La démarche suivie lors de cette étude peut être rapidement explicité par les étapes suivantes :
- Répertorier les tremblements de terre susceptibles d’avoir été détectés par les systèmes de positionnement. Pour cela, on liste d’abord les séismes les plus puissants pour l’ensemble du globe puis on poursuit progressivement avec des séismes plus modérés dans une zone géographique plus restreinte autour du CERN. L’ensemble des informations concernant ces événements est soigneusement répertorié.
- Visualiser les enregistrements des mesures des capteurs aux dates et heures correspondant à un séisme de la liste. Les courbes nécessaires à ce travail ne sont pas celles des lectures brutes, mais celles de valeurs obtenues suite à l’application de traitements spécifiques.
- Récupérer les informations caractéristiques de la perturbation dans le cas où celle-ci semble correspondre temporellement à un séisme.
- Appliquer le mode opératoire de contrôle des origines de la perturbation en question. Celui- ci repose sur trois méthodes :
1) la comparaison du graphique des écarts type de la perturbation avec ce qui constitue la signature propre des séismes sur ce type d’enregistrement.
2) La comparaison de l’heure du début des troubles par rapport à l’heure de l’arrivée théorique des premières ondes sismiques.
3) La recherche de similarités sur les enregistrements provenant de réseaux différents, lorsque cela est possible.
Ainsi, lorsqu’il n’y a pas d’incohérence concernant la perturbation, elle peut être considérée comme résultant d’un tremblement de terre. Ce processus est soigneusement appliqué pour chaque séisme présent sur la liste de départ. Cela n’est rendu possible que par la réalisation d’un programme informatique automatisant les étapes les plus fastidieuses à exécuter et accélérant de ce fait le déroulement des recherches.
5. Quelques résultats à retenir
Le premier résultat concret de l’étude est d’établir que les systèmes de positionnement utilisés par le CERN détectent systématiquement bon nombre d’événements sismiques. Un recensement devant faire l’objet de mise à jour régulière fait à ce jour état de plus de 75 perturbations, enregistrées par les capteurs du CERN, formellement identifiées comme résultantes de ces phénomènes.
Outre la quantité, c’est le type de séismes qui semble surprenant. En effet, parmi toutes ces perturbations, on compte évidemment de nombreux tremblements de terre lointains et puissants mais également des phénomènes bien plus modérés et proches. Il apparaît donc que les systèmes métrologiques sont sensibles à l’ensemble des séismes à l’exception évidente des plus faibles quelque soit la localisation géographique de l’épicentre. Leurs capacités de perception vont bien au- delà de ce que l’on pouvait penser au départ.
Néanmoins, il est important de bien dissocier le comportement des niveaux hydrostatiques de celui
des écartomètres à fil. On constate que ces derniers ont une sensibilité bien moindre aux ondes sismiques. Ils ne sont troublés que par des phénomènes exceptionnellement puissants à l’échelle du globe ou de la région alpine. Cette différence s’explique par la différence de nature des surfaces de référence qui fait que les capteurs HLS sont plus sensibles aux basses fréquences des ondes sismiques que les WPS.
Par ailleurs, l’analyse approfondie des perturbations recensées, associée aux calculs des temps de propagation des ondes, permet de montrer la sensibilité des systèmes de positionnement aux différents trains d’ondes sismiques. La figure ci-dessous en est l’illustration pour les HLS.
6. Conclusion
Cette étude a permis de répondre à un véritable besoin d’informations pour les responsables de ces systèmes métrologiques au sein du CERN. Le sujet demeurant au départ plutôt méconnu, les résultats obtenus lors de ces recherches apportent un éclairage nouveau sur la véritable sensibilité des systèmes de positionnement par rapport aux tremblements de terre. Dans le cas des niveaux hydrostatiques, ce facteur devra être pris en compte dans l’avenir afin de bien identifier la nature des perturbations et ainsi de prendre en compte la durée nécessaire àun retour àla normale des mesures par les capteurs. Un système d’alerte en liaison directe et permanente avec les logiciels d’acquisition des mesures pourrait être la bonne solution pour automatiser la création d’un catalogue des perturbations. Cela aurait l’avantage d’être relativement facile et rapide àmettre en place.